Vision de l'Unité et de la Paix

Étendu sur la crête, au repos sur l'autel gigantesque, sous l'insondable azur infini,
le temps, générateur d'inquiétudes, lui semble s'arrêter.
Dans les jours sereins, le soleil déjà couché,
on croirait que tous les êtres exhibent à la pureté de l'ambiance purificatrice leurs entrailles;
les lointains se dessinent,
des montagnes de teinte bleue et violette qui soutiennent la voûte céleste,
en un contour très pur, aussi net, aussi proche que la bruyère d'ajonc ou l'arbuste à portée de la main;
les différences de distance se réduisent à des différences d'intensité et de qualité de tons,
la perspective se ramène à une variété infinie et à une trame de nuances.
Tout se présente alors à lui sur un plan immense,
et une telle fusion de limites et de perspectives de l'espace le conduit peu à peu,
dans le silence qui règne là-haut,
à un état dans lequel se fondent pour lui les limites et les perspectives du temps.Il oublie le cours fatal des heures
et, en un instant qui ne passe pas, éternel, immobile,
il sent dans la contemplation de l'immense panorama
la profondeur du monde, la continuité, l'unité, la résignation de tous ses membres,
et il entend la chanson silencieuse de l'âme des choses,
en train de se dérouler dans l'espace harmonique et dans le temps mélodique...
Dans une merveilleuse révélation naturelle,
il pénètre alors dans la vérité, dans une vérité d'immense simplicité:
c'est que les pures formes sont, pour l'esprit purifié, l'essence intime,
que les choses montrent en pleine lumière leurs entrailles mêmes;
que le monde s'offre tout entier et sans réserve, à celui qui s'offre à lui sans réserve et tout entier.
"Bienheureux les cœurs purs, parce qu'ils verront Dieu !"
... Oui ! Bienheureux les enfants et les simples, parce qu'ils voient le monde entier !

Mais ensuite, une fois endormies par la symphonie silencieuse du solennel horizon,
ses idées se taisent et s'apaisent;
ses soucis s'effacent,
la sensation du contact corporel avec la terre et celle du poids de son corps se dissipent, absorbant comme une éponge le panorama et l'atmosphère, aliéné de lui-même;
il est gagné par une profonde résignation, mère de la toute-puissance humaine.
Puisqu'il n'y a que celui qui aime tout ce qui lui arrive qui obtient que tout ce qu'il aime lui arrive,
alors s'éveille en lui la communion entre le monde qui l'entoure et celui qu'il renferme dans son propre sein;
tous deux arrivent à se fondre,
l'immense panorama et lui, qui le contemple, libéré de la conscience du lieu et du temps, deviennent une seule et même chose;
et dans le silence solennel, dans l'air parfumé et libre, dans la lumière diffuse et riche,
tout désir éteint, et chantant la chanson silencieuse de l'âme du monde,
il jouit d'une véritable paix, pour ainsi dire d'une vie de la mort.Combien de choses alors, qu'il n'exprimera jamais !
Que de nuages rosés dans un ciel d'or, qui jamais ne doivent être peints !
C'est une immensité de paix;
la mer chante la paix;
la terre parle silencieusement de paix;
le ciel verse la paix;
la paix naît des luttes pour la vie, harmonie suprême des dissonances;
paix dans la guerre même et sous la guerre, inépuisable, la nourrissant et la couronnant.
La guerre est à la paix ce que le temps est à l'éternité: sa forme passagère.
Et dans la paix semblent s'identifier la mort et la vie...


Paix dans la Guerre, fin, O. C. II
Miguel de Unamuno



photos http://www.sentier-nature.com, avec mes remerciements

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