Pensées pour moi-même - Marc-Aurèle

Le livre de Marc-Aurèle (121-180, empereur romain) dont je vous propose ici quelques extraits, n'ayant aucune base dogmatique, conserve toute sa fraîcheur d' Évangile éternel. Pour tous - depuis l'athée, ou celui qui se croit tel, jusqu'à l'homme le plus engagé dans les croyances particulières de chaque culte.

  • "Que de temps gagné quand on ne regarde pas ce que dit, fait ou pense le voisin, mais seulement ce qu'on fait soi-même, afin que ce soit juste, pieux et conforme au bien ! Ne guette pas le mauvais caractère mais cours droit au but sans te disperser.

  • "Il n'y a pour toi de mal ni dans la conscience d'autrui, ni dans un changement ou une altération de ton entourage. Mais où est alors le mal ? Là où tu as une opinion sur lui. N'en aie pas et tout ira bien. Même si le corps, ton plus proche voisin, est coupé en morceaux, brûlé, purulent, gangrené, que la partie qui a une opinion à ce sujet se tienne tranquille, c'est-à-dire qu'elle ne juge ni bien ni mal ce qui peut arriver également à l'homme de bien et au méchant. Car ce qui arrive également, que l 'on vive contrairement ou conformément à la nature, ne lui est ni conforme ni contraire.
  • "Pense sans cesse que le monde est un être unique ayant une essence et une âme uniques; que tout conduit uniquement à sa perception, qu'il fait tout d'une unique impulsion, que tout est cause de tout ce qui arrive et que la trame des choses est serrée.
  • "Juge-toi digne de toute parole et de toute action conformes à la nature et ne te laisse pas distraire ensuite par des critiques ou des commentaires: on n'est jamais indigne d'une bonne action ou d'une bonne parole. Les autres ont leur propre conscience et suivent leurs propres instincts. Ne t'en préoccupe pas; prends le droit chemin, en suivant ta propre nature et la nature universelle: c'est la même route.


  • "De la même façon qu'on dit: Asclépios ( Dieu de la médecine ) a prescrit à un tel l'équitation, les bains froids ou la marche pieds nus, on dit: la nature universelle a prescrit à un tel une maladie, une infirmité, une perte ou quelque autre épreuve. Dans le premier cas, prescrire signifie à peu près assigner en fonction de son état de santé, tandis que dans le second, ce qui arrive à chacun lui est assigné pour ainsi dire en fonction de sa destinée. C'est pourquoi nous disons que les événements sont adaptés à nous, comme les artisans disent que les pierres de taille sont adaptées aux murs ou aux pyramides, quand elles s'harmonisent les unes avec les autres selon une combinaison particulière. En somme, il n'y a qu'une seule harmonie. De même que le monde est un corps composé de tous les corps, la destinée est une cause composée de toutes les causes. Ce que je dis là, même les plus simples le comprennent puisqu'ils disent: c'est un coup du destin. Il a donc été porté et convenablement prescrit. Acceptons les événements comme des prescriptions d' Asclépios: bien des éléments en sont pénibles mais nous les accueillons de bon coeur dans l'espoir d'une guérison. Vois l'achèvement et l'accomplissement du dessein de la nature universelle comme tu regardes ta santé et accueilles de bon coeur tout ce qui arrive, même si cela te semble un peu dur. Cela aboutit à la santé du monde ainsi qu'à la bonne marche et au succès de Zeus. En effet, le destin n'aurait pas porté ce coup à cet homme si cela n'apportait rien à l'univers. Toute nature, même la première venue, agit toujours en fonction de l'être qu'elle régit. Il faut donc chérir ton sort pour deux raisons: d'abord, il est fait pour toi, on te l'a prescrit et la trame de ta destinée a été en quelque sorte tissée d'en haut d'après les causes les plus vénérables; ensuite, ce qui arrive en particulier à chacun détermine, pour Celui qui régit l'univers, sa bonne marche, sa perfection et son existence même. L' univers est mutilé si on ôte quelque chose à la cohérence et à la continuité de ses causes comme des ses parties. Or tu le fais, pour ta part, quand tu es mécontent, et en un sens tu le détruis.

  • "Tu peux toujours mener une vie heureuse, puisque tu peux suivre le bon chemin en pensant et en agissant avec méthode. Deux facultés sont communes à l'âme de Dieu et à celle de l'homme et de tout être raisonnable: ne pas être entravé par autrui et ne pas désirer d'autre bien que la disposition et l'action justes.
  • "Qui a vu le présent a vu tout ce qui a été de toute éternité et tout ce qui sera à l'infini; car tout a la même origine et le même aspect.
  • "Si tu considères n'importe quelle chose indépendante de ta volonté comme un bien ou un mal, nécessairement, quand ce mal se produit ou quand ce bien n'arrive pas, tu en fais reproche aux dieux, tu hais les hommes parce qu'ils sont ou peuvent être, peut-être un jour, responsables de l'accident, de la privation. Des différends à ce sujet nous font commettre bien des injustices. Mais si nous ne considérons comme des biens et des maux que ce qui dépend de nous, il n'y a plus aucune raison ni d'accuser Dieu, ni de déclarer la guerre à un homme.
  • "Toutes les choses s'entrelacent et leur cohérence est sacrée; presque aucune n'est étrangère à l'autre car elles ont été ordonnées ensemble pour parachever le même monde. En effet, le monde, formé de toutes les choses, est un; un le Dieu répandu à travers tout, une la substance, une la loi, une la raison commune à tous les êtres sensés, une la vérité; la perfection des êtres appartenant à la même famille et participant de la même raison est une, elle aussi.
  • "Si un fait extérieur t'afflige, ce n'est pas lui qui te gêne mais ton jugement à son propos. Il dépend de toi de l'effacer sur le champ. Si ce qui t'afflige vient de ta propre disposition, qui t'empêche de corriger ton opinion ? De même, si tu t'affliges de ne pas accomplir ce qui te paraît sain, pourquoi ne pas t'y efforcer au lieu de t'en affliger ?
  • "Celui qui ne sait ce qu'est le monde ne sait où il est; celui qui ne sait pourquoi il est fait ne sait ni qui il est, ni ce qu'est le monde. Celui qui néglige un de ces points ne peut dire pour quoi il est fait. Que te semble-t-il de celui qui estime la louange ou le blâme de ceux qui ne savent ni où ils sont, ni ce qu'ils sont ?

  • "Le soleil semble se diffuser et, en effet, il se diffuse, mais sans effusion. Car cette diffusion est extension. C'est parce qu'ils rayonnent que les éclats du soleil sont appelés des rayons. Qu'est-ce qu'un rayon ? Tu peux le voir si tu regardes la lumière du soleil qui pénètre dans une pièce sombre par une fente: elle s'étend en ligne droite, pour se poser sur le premier support venu qui la coupe de l'espace qui suit; elle s'y tient, sans glisser, sans tomber. Voilà ce que doit être l'intelligence: diffusion - et non effusion - et extension. Il ne faut pas qu'elle heurte violemment et impétueusement les obstacles qu'elle rencontre ni qu'elle se laisse abattre par eux mais qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte. L'objet qui ne l'accueillerait pas se priverait lui-même de lumière.
  • "Une est la lumière du soleil, même si elle est séparée par des murs, des montagnes et mille autres obstacles. Une est la substance universelle, même si elle est séparée en mille corps particuliers. Une est l'âme, même si elle est séparée en mille natures respectivement délimitées. Une est l'âme sensée, même si elle semble se partager. Des autres parties, certaines, comme les souffles et les objets, sont insensibles et étrangères les unes aux autres. Et cependant, elles sont maintenues ensemble par leur unité et par la pesanteur. Mais la pensée, elle, est tendue vers son semblable, s'y réunit et cette tendance sociale est invincible.
Mon âme,
Quand seras-tu bonne, simple, une, nue
et plus manifeste que le corps qui t'enveloppe ?
Quand goûteras-tu à l'amabilité et à la tendresse ?
Quand seras-tu comblée, sans besoin, ni regret,
ni désir de rien d'animé ou d'inanimé pour jouir des plaisirs,
ni d'un délai pour en jouir plus longtemps,
ni d'un lieu, d'une région, d'un climat favorable
ou d'une harmonie entre les hommes ?
Quand te contenteras-tu de ta condition présente ?
Quand te réjouiras-tu de la conjoncture ?
Quand te persuaderas-tu que tout, pour toi, vient des dieux, va bien, ira bien ?
Peu importe ce qui leur semble bon,
ce qu'ils t'assignent pour le salut de l'être parfait, bon et beau,
qui engendre, maintient, enveloppe et embrasse tous les corps qui se dissolvent
pour en engendrer d'autres semblables !
Quand pourras-tu vivre à la fois dans la société des dieux et des hommes
sans les critiquer, ni être accusé par eux ?

Marc-Aurèle

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