Jésus nous demande-t-il de tenir pour négligeables nos relations humaines? Exige-t-il que l'on tourne le dos au bonheur et à la joie terrestre?
certains l'ont cru. Ils ont inventé une spiritualité de massacre.
J'ai connu quelqu'un qui s'est laissé détruire, croyant faire plaisir à Dieu.
De ces caricatures d' Évangile sont nés les athéismes. Penser Dieu contre l'homme: c'est tuer Dieu dans le cœur de l'homme.
Jésus ne serait pas fils d'Israël s'il n'aimait pas la vie. Tout le message de la première Alliance est un Hymne à la joie. Jésus ne nous reproche pas d'aimer trop mais d'aimer mal et d'abîmer ainsi ceux que nous croyons aimer.
Je pense à cette boutade de Prévert: "Tu dis que tu aimes les fleurs, tu les coupes. Tu dis que tu aimes les poissons, tu les manges. Tu dis que tu aimes les oiseaux, tu les mets en cage. Lorsque tu me dis: Je t'aime, j'ai peur !"
Préférer le Christ à tout, c'est porter nos liens humains dans le cœur de Dieu pour qu'Il les purifie. Tout amour n'est pas de l'amour. Vous n'avez pas rêvé assez grand: " Aimez-vous comme Je vous ai aimés." Ouvrons quelques pages de l'Évangile:
- Aimer, ce sera d'abord un certain regard. "Jésus le regarda et il l'aima." Jésus voit un diamant caché dans sa gangue. Il voit un arbre lové dans sa petite graine vulnérable. Il est prêt à mourir pour que l'autre se réalise.
- Aimer ce sera accepter que l'autre marche à son rythme, se réjouir de sa différence, respecter sa liberté. Jésus agit ainsi avec chacun des apôtres et avec le jeune homme riche.
- Aimer c'est s'abstenir de juger l'être aimé sur son passé. On ne le confond pas avec son casier judiciaire. Son avenir est vierge. Ainsi de l'adultère ou de la prostituée chez Simon. Ainsi de Zachée ou du truand de Golgotha
- Aimer c'est rendre toutes ses chances à l'ami qui a trahi. On ne lui parle même pas de ce qu'il a fait. On l'invite à brûler d'un feu plus fort. "Pierre, m'aimes-tu davantage?"
- Aimer c'est être "ému jusqu'aux entrailles" devant un blessé sur la route, se mettre hors la loi pour lui et signer encore un chèque en blanc pour les frais de guérison.
- Aimer ce sera accueillir le fils parti en cavale et qui a déshonoré la famille par sa conduite. On fera même un méchoui pour son retour. Et on ne criera pas: "quand je pense que tu as fait pleurer ta mère!"
- Aimer ce sera faire demi-tour sur le chemin du temple abandonnant son paquet d'offrandes et de prières parce que soudain on s'est souvenu que l'être aimé se sent peut-être mal-aimé et qu'il faudrait vite, toute affaire cessante, aller lui demander pardon.
- Aimer c'est être comme votre Père du Ciel, Lui qui offre autant de soleil et de pluie au jardin des athées qu'au jardin des carmélites. Ce que le soleil et la pluie sont aux plantes, soyez-le pour votre prochain, qu'il soit une rose ou un cactus. L'indifférence c'est laisser mourir. Aimer, c'est faire exister.
- Aimer, c'est dire NON parfois devant un caprice ou un dérapage, comme on cogne sur l'ami s'il se débat au moment où on l'empêchait de se noyer. C'est ainsi que Simon Pierre s'est vu un jour traité de satan!
- Aimer c'est pardonner soixante-dix-sept fois, ce qui, en hébreu, signifie toujours, et pour faire bonne mesure pardonner à ses bourreaux, comme les sept moines de l'Atlas. Non pas qu'ils aient souhaité la mort mais ils se sentaient solidaires de leurs frères algériens.
le reste de la Création, les galaxies et les planètes, la morale et les religions, tout converge vers ce miracle:
un atome d'amour justifie le monde
Devant la pénurie d'amour, Jésus lance un appel.
S'adressant aux candidats, il sera réaliste:
"Si vous êtes assez fous pour marcher à Ma Suite, surtout restez avec Moi. Jamais vous ne vous ennuierez mais on vous fera beaucoup d'ennui. Méfiez-vous de vos proches. Ils vous veulent trop de bien pour être honnêtes. Ils cherchent votre sécurité, pas votre chemin d'éternité.
Un être humain est un messager merveilleux lorsqu'il laisse Dieu se refléter en lui. Mais il y a des éclipses. L'amour à taille humaine est si bizarre, si déconcertant. Un jour adoré, demain jeté à la poubelle."
Ce n'est pas un aigri ombrageux qui parle ainsi mais Le plus grand Amoureux de la vie. Il l'aime tellement la vie qu'Il l'a inventée. Mais Il l'aime grandeur nature. Et il la veut pour tous, les Serbes, et les Bosniaques, les Hutus et les Tutsis, les Israéliens et les Palestiniens. Jésus ne supporte pas que l'on abîme un homme. Il n'est pas contre le bonheur, c'est Lui qui l'a inventé. "Je suis venu pour que vous ayez en vous la plénitude de Ma joie."
si demain, chers amis d'Aveyron et d'ailleurs, je trouve un Dieu plus joyeux que Jésus Christ, je change de religion. Oh d'accord, nous n'avons pas tout le temps, nous ses disciples, des têtes de ressuscités, mais ce n'est pas parce que nous nous sommes trop donnés. C'est au contraire parce que nous n'avons pas tout donné. Et ce qui n'est pas donné est perdu!
Non, le son de soi n'est pas triste:
Mermoz n'était pas triste de donner sa vie pour le courrier des Andes, Paul n'était pas triste de se donner pour Jésus et pour l’Évangile.
Après avoir parlé des mille et un dangers traversés, prison, coups, blessures, lynchage, naufrages, et le pire gardé pour la fin: " les faux frères", Paul exulte, il jubile: " la légère épreuve de cette vie, dit-il, nous prépare bien au-delà de toute mesure une masse éternelle de bonheur et de gloire" C'est le même qui disait: " si je me fais brûler à y laisser ma peau, sans être motivé par l'amour, c'est du vent!"
deux images peuvent résumer ce que Jésus a cherché à nous dire dans son évangile. Elles ne sont pas loin. "le blé, disait Saint Dominique, s'abîme quand on le garde. Il fructifie lorsqu'on le sème." Et le cierge qui brûle sur cet autel nous dit de façon claire, évidente, qu'il est préférable d'échanger sa cire contre une flamme plutôt que de se garder intact au fond d'un tiroir. Le don de soi n'est pas la mort de la joie, il en est la source.
homélie prononcée par le Père Stan Rougier le 30 juin 1996 paroisse de la Romiguière au Truel (aveyron)
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