Vers une école de paix et d'amour

L' école, c'est comme le reste de la société: nous n'osons pas y introduire le rêve; soit de peur d'être déçus, soit par crainte d'être utopistes. Elle est aujourd'hui une école de guerre destinée à former des "combattants".

C'est l' école du déplaisir, de la contrainte, de la méfiance en soi, de la discipline hiérarchique.
C'est l' école de l'absurde, qui enseigne des données théoriques à de jeunes humains qui ne connaissent rien de la vie.

On y apprend qu'il y aura peu d' élus, on y apprend l' importance du milieu d'origine. On porte comme un fardeau l' espérance ou l' angoisse des parents désorientés. On y apprend que la curiosité est un vilain défaut.
On y apprend la compétition selon un dressage qui a fait ses preuves: la carotte et le bâton
On y apprend la résignation, on y apprend le désespoir.

À qui la faute ? en tout cas, généralement pas aux professeurs qui sont eux-mêmes prisonniers du système: mal payés pour délivrer un cours préprogrammé et indigeste à des élèves turbulents qui ont envie d'autre chose.

Je n'ai pas encore entendu un seul vrai débat sur les objectifs de l' école. Sur les moyens, oui, bien sûr : école laïque ou religieuse, centralisation ou centralisation (non, ce n'est pas un lapsus...), notes ou pas notes, élitisme ou pas, intégration, immigration, mais rien sur les objectifs.
Et pourtant, je peux attester comme "employeur" que les jeunes qui nous rejoignent ou qui postulent (nous recevons plus de huit mille candidatures spontanées par an..) sont plus déformés que formés à la vie professionnelle et, surtout, à la vie tout court.

J'entends souvent les patrons exprimer le besoin d'avoir des candidats formés aux techniques dont ils ont besoin. J'ai envie, sinon de me porter en faux, du moins d'apporter un correctif très appuyé à cette revendication.
Nos entreprises ont avant tout besoin de femmes et d'hommes à l' aise dans la vie, c'est-à-dire capables de réfléchir et encore plus de communiquer, de concevoir un travail en équipe, d' exprimer leurs sentiments et pas seulement des analyses pseudo-rationnelles, capables également d'être des animateurs.

Ce qui est paradoxal, c'est qu'on trouve davantage ces qualités chez ceux qui ont quitté l'école très tôt;  à l'inverse, ceux qui ont fait les études les plus longues sont souvent difficiles à récupérer et à insérer dans un milieu social du type de l'entreprise.
L' école semble couper les jeunes de notre réalité biologique et sociologique. Nos enfants baignent dans un univers théorique dont ils sortent très douloureusement, souvent désemparés.

Mais à quoi ça sert, l'école ?

La plupart des gens diront: à donner un métier, obnubilés qu'ils sont par la peur du chômage. Mais ils oublient alors deux écueils essentiels:
1. Nous ne connaissons pas aujourd'hui les métiers dont nous aurons besoin dans cinq ans. Alors dans dix, quinze ou vingt ans !

2. Nos adorables bambins sont incapables, comme nous l'étions nous-mêmes, de savoir quel métier ils aimeraient faire, dans la mesure où on ne leur en parle pas. Pourquoi des vocations de médecins, pompiers ou curés ? Parce qu'on les voit à l'œuvre. De même pour le métier de nos parents, lorsqu'on a la chance d'avoir des parents heureux dans leur métier et qui en parlent.
Je propose qu'on consacre  au moins un quart du temps de la scolarité à découvrir la variété et le contenu des différents métiers actuels, grâce à des simulations, des films, des pièces de théâtre, des interviews. Peu à peu se dégageraient chez les enfants une impression, des envies, des occasions de discuter avec leurs professeurs, avec leurs camarades ou avec leurs parents, avec leurs proches: mais aussi une sensation d'exister dans la société et, progressivement, un sens des responsabilités sociales. Ils comprendraient ainsi l' évolutivité des métiers, pourraient sentir les grandes catégories professionnelles, se motiveraient sur l'approfondissement de certaines matières dont ils découvriraient l' intérêt.
Sans "donner" un métier aux enfants, l'école remplirait alors son rôle d'ouverture et d'information qui permettrait à chacun de se positionner ensuite dans telle ou telle branche.

Soyons lucides, aujourd'hui l' école ne sert-elle pas surtout à la garde des enfants pour que les parents puissent aller travailler en paix ? D'ailleurs, parmi les débats les plus animés sur l' école, celui qui touche les horaires arrive en tête. Comment en effet les faire coïncider avec ceux des parents ?  Que faire le mercredi et le samedi ?  Que faire des enfants pendant les vacances scolaires ?  Il s'agit là de problèmes bien réels qui méritent le respect.
Mais pour moi, la mission essentielle de l' école est l' apprentissage de soi-même. Toutes les occasions doivent être saisies pour permettre à l' enfant de sentir, d' admettre et d' épanouir toutes les caractéristiques, les spécificités qui font de lui un être unique et digne de respect, quels que soient ses penchants, ses dons, ses origines, ses carences. C'est à ce prix qu'il pourra en toute connaissance de cause décider progressivement du chemin de sa vie sur le plan professionnel et sur tous les autres plans.

Derrière l'absence de débat public, subsiste le vieux conflit sur l'éducation qui opposait Freud et son disciple Reich. Le premier voulait couler les enfants au moule de la société;  le deuxième, plus optimiste, plus révolutionnaire, plus moderne, souhaitait donner aux enfants tous les éléments de connaissance sur eux-mêmes, donc toute la liberté psychique qui leur permettrait de conduire leur propre évolution.
Car c'est bien de la liberté qu'il s'agit. L' école aujourd'hui accouche d' "esclaves" enchaînés à l'idée qu'il n'y a que très peu de choix possibles dans la vie. Si nous écoutons le langage courant, il est rempli de "je ne peux pas" faire du sport, "je ne peux pas" dîner avec vous, "je ne peux pas" aller au cinéma, "je ne peux pas" apprendre un nouveau métier,  "je ne peux pas" divorcer, "je ne peux pas" prendre de vacances, "je ne peux pas" me marier, "je ne peux pas" me laisser mourir, "je ne peux pas" dire non à mes parents, à mes enfants.

"Je ne peux pas", alors que, dans la plupart des cas, c'est "je ne veux pas" qu'il aurait fallu dire. Notre société donne l' impression, le sentiment, que les choix sont faits par les autres et que nous n'avons pas d'autre solution que de nous plier à leurs contraintes. Apprendre que la vie est un choix quotidien, de même que le travail et les relations sociales, c'est le rôle de l' école. Il me revient qu'en classe de sixième, notre professeur de latin nous expliquait pourquoi le latin est important: "ça apprend à faire des choix."  Je me souviens encore de cette phrase, mais je ne l'ai pas comprise. Elle me semblait intéressante, bien que hors contexte. Je ne vois toujours pas en quoi le latin apprend à faire des choix mais je vois très bien que l' école devrait avoir cette finalité. ou plutôt apprendre que des choix sont toujours possibles.
Lorsque mes filles étaient petites, je leur disais qu' elles pouvaient ne pas aller à l'école. C'était leur choix. Que l' on trouverait bien une solution pour leur éviter cela. Moyennant quoi, elles n'ont pas démissionné et ont fait de l' école leur choix personnel. C'est en fait l' affrontement de l' optimisme et du pessimisme, de la confiance en l' homme et de la méfiance à l' égard de ses soi-disant prédispositions malsaines. Aujourd'hui, c'est le triomphe de la méfiance, ce "mal français" si bien mis en lumière par Alain Peyrefitte. C'est aussi la volonté de conserver un système qui est le fruit de beaucoup de sacrifice de la part de nos ancêtres.
mais c'est surtout la peur de l' inconnu, de l' aventure et de l' innovation.

Aucun commentaire: