Un chrétien sait qu'il est sur terre pour un prodigieux dessein, une fantastique entreprise. Rien de moins que d'apprendre la vie même de Dieu à l'image de Qui il est créé...rien de moins que d'apprendre l'Amour.
"Soyez parfaits comme le Père est parfait. Lui qui fait briller Son soleil sur les méchants comme sur les bons..."
L'usine, la famille, les loisirs prennent dans cette lumière une formidable dimension, une prodigieuse signification. Tout prend son sens. Tout échappe à l'absurde. L'usine où tant d'hommes passent la moitié de leur vie devient le chantier d'une aventure de l'esprit humain. L'homme s'y défigure ou s'y transfigure.
Dans toutes les entreprises où j'ai travaillé, je n'ai vu souffrir que d'une seule chose: l'absence de relations humaines basées sur le respect et l'amour...l'humiliation du faible, du petit, du malchanceux. Quand un homme n'aime pas son semblable, il compense cette mutilation du coeur par l'abus du pouvoir... Et l'humiliation non pardonnée entasse des réserves de vengeance.
Toutes les situations où j'ai vu un homme humilié par un autre m'ont révélé, en creux, la place de l'essentiel. "encore un curé gauchiste!" diront certains. Quelle propagande vous feriez à la gauche si vous pensiez qu'elle est seule à vouloir donner une âme à la vie!
Non, Ce que j'ai vu à Cuba et en Chine m'a vacciné contre l'illusion d'une société sans jalousie, sans domination, sans rejet, sans castes, sans mépris, sans exclus. Quiconque a assisté, de l'extérieur, à un tribunal populaire, à ce climat où chacun trouve un plaisir sadique à détecter l'esprit bourgeois de son prochain, ne peut qu'être écoeuré.
Je ferais une exception pour le Chili d'Allende où j'ai vu - au tout début de l'expérience, il est vrai - l'essai le plus noble vers de nouveaux rapports entre les hommes.
Mais l'égoïsme veillait. Des ouvriers parmi les mieux payés du cuivre et du transport ont fait grève sur grève. Des ingénieurs et des techniciens ont filé vers les pays où fleurit le dollar. Des patrons ont même été jusqu'à saboter leur entreprise. Le rêve s'est effondré dans le sang. Est-ce l'amour de l'argent, est-ce la panique face aux risques d'endoctrinement marxiste qui ont tué ce rêve?... Les deux sans doute !
Imagination et créativité
"N'essayez pas d'expliquer à un Mermoz qui plonge vers le versant chilien des Andes avec sa victoire dans le coeur, qu'il s'est trompé, qu'une lettre, de marchand peut-être, ne valait pas le risque de sa vie. Mermoz rira de vous. La vérité: c'est l'homme qui est né en lui quand il passait les Andes." ( Saint-Exupéry)
Allez donc demander à un cadre de chez Bastos si un homme est né en lui lorsqu'il a vu les paquets de cigarettes franchir la chaîne de fabrication ?...
Oui, mais le plus humble balayeur de chez Bastos est un fils de Dieu et cela pourrait tout changer radicalement...
Ce qui rassemble les hommes d'une entreprise n'est peut-être pas une aventure grisante, enivrante, pour un regard de sociologue matérialiste. Mais un poète ou un mystique, un Teilhard, un Mounier, verraient là un grand projet s'accomplir... plus courageux que la ruée vers l'Ouest...plus élevé que la conquête spatiale...
A Bethléem, il y a un Dieu entre la vie et la mort, entre le sein de Marie et l'épée d'Hérode, entre la vigilance de Joseph et le courant d'air du caravansérail.
Dans tous les ateliers du monde, il y a "des Christ par milliers" aussi précieux aux yeux de Dieu que son propre Fils, menacés de mort corporelle ou de mort spirituelle. Le cadre préoccupé de la qualité de la vie , de l'environnement, du bruit, des relations humaines, dira-t-il que sa tâche est mesquine s'il sait qu'il est au service d'un Dieu ?
"Si tu veux que les hommes soient frères, fais-leur bâtir une tour"... Si la tour n'est qu'une banque, je comprends qu'on jette la truelle. Mais si c'est un monde nouveau à construire... même pour celui qui travaille dans la banque... l'épopée est aussi noble que les combats de la Résistance; La moindre sentinelle pèse de tout son coeur vers la victoire...
Votre fonction de cadre, d'ingénieur, de "responsable" a une dimension sociale politique. La gestation de la société à naître, c'est dans vos entrailles qu'elle s'accomplit. L'avenir repose sur ceux en qui l'amour fou de leurs frères décuple les ressources d'imagination et de créativité. Déjà grâce à l'effort conjugué d'ouvriers et d'ingénieurs, certaines entreprises ont éliminé le travail à la chaîne. Déjà dans certaines entreprises, tous participent aux responsabilités à leur place. L'ère des pionniers est loin d'être révolue. Des tâches fabuleuses s'offrent à tous les hommes de coeur.
Les malheurs de notre monde et l'immense morosité qu'ils engendrent, même chez ceux qui "ont tout pour être heureux", ne seraient-ils pas le fruit d'une rupture entre l'âme spirituelle et le corps de la société ? Trop de chrétiens de toute une époque se sont comportés à l'égard de la politique, de l'économie et de la famille comme si tout cela était sans rapport avec leur foi. On accomplissait de son mieux un job ingrat et douteux sans amour et sans passion. Et le "pétrole" spirituel était réduit à "pédaler dans la semoule", débrayé du réel.
Il faudrait des saints de l'entreprise. Comme Balzac parle à propos de César Birotteau d'un "saint du commerce". J'ai eu la joie d'être l'ami de l'un d'entre eux: Jean Sargueil. Il est mort d'un infarctus, d'une overdose de tendresse pour les ouvriers, d'une immenses déception de ne pouvoir sauver du chômage les 950 familles de Lip. " Heureux celui qui meurt d'aimer."
La plus grande crise de l'histoire
Certains me diront: "descendez un peu sur terre..l'entreprise n'a pas pour objectif d'améliorer ce monde... nous fabriquons du profit... c'est tout... Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'être déficitaires. Alors pas de grands mots, s'il vous plait. Nous bossons 10 à 12 h par jour: ça ne nous laisse pas le temps d'avoir comme vous des nostalgies métaphysiques. S'il nous arrive de faire du yoga, ne vous y trompez pas, c'est uniquement pour améliorer le rendement."
J'ai peine à croire à ce genre de discours. Lorsque l'athéisme corrosif d'une époque tend à faire de l'individu un robot, l'homme qui sommeille en lui ne peut avoir qu'un sursaut d'indignation. Ce monde exige un "supplément d'âme". On ne peut pas se contenter d'une peu plus d'huile pour que les rouages du robot tournent mieux.
Il faudra bien prendre en compte la révolte des enfants de ces robots, ....exemple en 1968, à l'est comme à l'ouest...dans les sociétés de compétition comme dans les sociétés de répartition.
Les poètes, les prophètes, les saints et tous ceux que la Bible nomme les "pauvres" savent que l'homme étouffe là où règnent la technocratie et l'argent. Ils savent aussi que Dieu est déshonoré et bafoué lorsqu'un homme est privé de sa dignité.
"La race humaine est affrontée à la plus grande crise de son histoire parce que la religion est évacuée. Vous ne sauverez pas le monde avec un système. Vous n'aurez pas de paix sans l'amour. Vous n'aurez pas l'ordre social sans les saints, les mystiques et les prophètes." (Thomas Merton: Mysticisme à l'âge nucléaire)
Il n'est pas possible de continuer une civilisation qui fabrique un immense gâchis.... Il n'est pas possible de ne pas peser, tous, de toutes nos forces pour enrayer la course démentielle aux armements nucléaires. Ces "oignons" sont trop graves pour être laissés aux militaires !
Paul VI parlait de la surproduction d'engins militaires comme d'une "agression" à l'égard des pauvres et des marginaux. "Agression allant jusqu'au crime - même lorsqu'ils ne sont pas employés - par leur seul coût. Les armements tuent les pauvres en les faisant mourir de faim." (Message aux Nations Unies)
Comment ne voit-on pas que l'existence sur la même planète de 750 millions d'enfants au cerveau endommagé par la faim, de millions d'êtres frustrés de toute vie spirituelle pour lesquels la vie est absurde, de millions d'hommes dont les insatisfactions tournent en violence et en drogue... Comment ne voit-on pas que tout cela réuni forme un détonateur qui pourrait mettre le feu à quelques-unes des centaines de mille bombes H déjà stockées.
L' humanité est à la veille d'un choix: Fraternité ou destruction.
Si nos énergies ne s'épuisent pas contre des vétilles, elles seront libres pour "s'attaquer" à ce grand projet. Cessons de "filtrer le moustique et d'avaler le chameau".... !
extrait de " l'avenir est à la tendresse " du Père Stan Rougier
merci à http://pdubois.free.fr pour les photos
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